Distinguer intelligence économique et espionnage industriel

Distinguer intelligence économique et espionnage industriel

CIO:Pourquoi constate-t-on ces derniers temps un regain d’intérêt pour le droit de l’intelligence économique?

T du M de J: Vous avez raison de dire que, effectivement il y a regain d’intérêt, en particulier en lien avec les technologies de l’information et de la communication . L’IE est donc en pleine expansion et le droit a accompagné le mouvement. On a assisté en moins de dix ans à une reforme complète deu droit de l’IE. Cela est dû tout d’abord à une volonté de protéger le patrimoine national, suite à une prise de conscience liée à quelques affaires. De plus la récente évolution de la législation, pour suivre celle des technologies, a amené du neuf dans les pratiques privées et judiciaires, ce qui a aussi contribué à éveiller l’intérêt. Un exemple est celle de l’interception [les écoutes] des messages envoyés par SMS ou courriel: devait-on appliquer la procédure du courrier papier ou bien celle du téléphone? L’évolution de la loi a clarifié les procédures. Enfin, des affaires très médiatisés ont sans doute joué. Mais il faut distinguer l’intelligence économique et l’espionnage industriel. Les professionnels ont d’ailleurs aujourd’hui la volonté de moraliser le secteur.

CIO:Quels aspects de l’intelligence économique ont une dimension juridique?

T du M de J: On peut distinguer trois grands domaines concernés: la collecte d’information, la protection du patrimoine et ce qu’on pourrait appeler la désinformation. Concernant la protection du patrimoine immatériel (celui visé par l’intelligence économique), les entreprises se préoccupent traditionnellement des brevets, des marques de la propriété intellectuelle au sens large. Mais il ne faut pas oublier le patrimoine informationnel. Le député Bernard Carayon a d’ailleurs déposé un projet de loi concernant la protection du secret sur les informations pour lesquelles un effort substantiel de protection est engagé.

CIO: Les DSI sont plus concernés par la protection du système d’information des entreprises et donc par la lutte contre l’acquisition d’informations…

T du M de J: Il faut se souvenir que le texte de loi qui régissait les agents de recherches privées dataient de 1942, à l’époque où ces enquêteurs s’occupait surtout de surprendre en galante compagnie des maris ou des femmes volages. La loi du 18 Mars 2003 a mis à jour la réglementation. Mon livre (*) détaille les règles que doivent respecter de tels agents. Mais il ne faut pas oublier que l’intelligence économique, au sens où on l’entend en France ne repose que sur des manœuvres légales. Or l’intrusion dans un système informatique est typiquement une manœuvre délictuelle.

Mais il y a aussi d’autres opérations de veille informationnelle qu’il est difficile d’analyser sans que ceux qui les réalisent en soient toujours très conscient. Dans mon livre, je cite l’exemple des logiciel de veille qui « aspirent » (et donc copient en local) des pages sur Internet, par exemple un site d’informations boursières tel que Boursorama. Une telle copie est susceptible de se heurter à plusieurs dispositions légales, si l’on se situe hors du cadre de la copie privée, notamment: le droit à la vie privé (photographie des dirigeants d’entreprise…), le droit des bases de données (liste des informations sur une ou plusieurs entreprises ou secteurs), le droit des marques (logo du site…), le droit d’auteur (présentation général, articles d’analyse…) etc. Toutefois, cette analyse doit être contrebalancée par des notions d’intérêt à agir puisque le titulaire des droits aspirés peut ne subir aucun préjudice.

CIO: Mais menacer d’un procès voire en intenter un n’est-il pas parfois une manœuvre d’intelligence économique?

T du M de J: Tout à fait. Certains peuvent être tenté par un usage dévoyé des procédures judiciaires. Le cas typique est le détournement de la procédure contradictoire pour obtenir des informations sur l’activité de l’entreprise attaquée. Imaginons par exemple que A soupçonne B, qui vient de recruter un de ses commerciaux, d’avoir volé son fichier clients. Le fichier client de B va être saisi et faire l’objet d’un examen par les deux parties (le cas échéant, le fichier de A sera aussi montré à B). Si la clientèle de B est nettement plus importante que celle de A, cela peut être tentant de déclencher une telle procédure pour connaître la clientèle de B. Imaginons maintenant que B attaque A en procédure abusive et gagne. A sera condamné par exemple à quelques milliers d’euros au titre des frais de procédure engagés par B et une si faible somme pour un fichier clients, cela peut être tentant… Il faut apprendre aux entreprises à se prémunir contre de tels agissements. Les DSI ont aussi à gérer des projets imposés imposés par la réglementation comme la loi Sarbannes-Oxley. De telles lois signent en fait l’émergence d’un « droit de la délation ».

Propos receuillis par Bertrand Lemaire.
* « Le droit de l’intelligence économique ». Édition Litec.

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