Le droit de l’intelligence économique pour soutenir une politique industrielle

Le droit de l’intelligence économique pour soutenir une politique industrielle

Le droit de l’intelligence économique pour soutenir une politique industrielle

Le droit de l’IE qui a fait l’objet d’études approfondies comporte trois grands volets : les règles régissant la protection de l’entreprise et de son patrimoine, celles encadrant l’acquisition de l’information et enfin les dispositions légales et réglementaires sur la désinformation et la contre-influence. Il n’est pas possible de présenter ce droit en quelques pages, nous n’évoquerons donc que les seuls points d’actualité dans ces trois domaines.

LA PROTECTION DU PATRIMOINE

ÉVOLUTION DE LA PROTECTION DU SECRET D’AFFAIRES

Le premier sujet brûlant de cette partie du droit de l’IE est, comme cela apparaît dans le texte de Bernard Carayon, les différentes propositions de réforme sur le secret des affaires. Il est donc inutile de revenir sur la proposition du député du Tarn. Notons cependant que le projet confidentiel d’une entreprise qui avait été imaginé par l’équipe délégué interministériel à l’intelligence économique » (DITE) a été soumis au Conseil d’Etat en vue de la rédaction d’un projet de loi. Le rapporteur du Conseil d’Etat aurait été assez cinglant dans sa critique de la proposition du DITE et il conviendrait d’examiner en détail cet avis non public pour juger non de sa pertinence, mais de la transposition du raisonnement à la proposition de Bernard Carayon. Cette dernière s’inscrit dans le prolongement d’une évolution jurisprudentielle récente et qui a trouvé les fondements juridiques suivants pour la protection de l’information : – Abus de confiance lorsque l’information a été remise volontairement à une personne qui la détourne de sa finalité pour l’utiliser à son profit personnel ou pour la remettre à des tiers. On peut utilement se référer à la motivation des décisions Clearstream, Valéo ou Michelin. – Recours à la prohibition de certains moyens d’acquisition de l’information comme par exemple les textes sur l’intrusion informatique ou même sur le vol (la cour de cassation dans un arrêt de 2008 quelque peu ésotérique semble admettre cette qualification, qui ne nous semble pas orthodoxe).

Il reste cependant quelques « trous » dans la protection. La tentative n’est pas réprimée, les textes sur la protection du patrimoine national (notamment espionnage) qui ont vocation à s’appliquer en principe aux entreprises sont trop imprécis pour servir de fondement comme l’a montré l’arrêt Michelin précité…

Il faudrait en outre légiférer pour contrôler les informations qui peuvent « fuiter », notamment à l’occasion de procès.

PROTECTION ET PROPRIÉTÉ DE L’INFORMATION.

Mais ces différents points peuvent paraître anec¬dotiques au regard d’une problématique fondamentale.

Il n’est pas possible de faire l’économie d’une réflexion sur le « propriétaire de l’information ». Cette démarche a échappé jusqu’à présent à toutes les personnes (dont j’ai fait partie – je bats ma coulpe) qui ont travaillé sur le thème de la protection des informations d’une entreprise.

En effet, une entreprise n’est légitime à revendiquer une protection au titre d’un secret des affaires que si elle possède un droit dessus. Truisme, me direz-vous! Mais la problématique posée est plus complexe qu’il n’y parait. La difficulté provient du code de la propriété intellectuelle (L.111-1 alinéa 3)qui précise que le contrat de louage d’ouvrage (qui comprend notamment le contrat de travail) n’emporte pas transfert des droits de propriété incorporels. En d’autres termes toutes prestations intellectuelles formalisées du salarié, par exemple des rapports, des analyses, des études, lui appartiennent.

Et circonstances aggravantes, il n’est pas possible de prévoir à l’avance dans le contrat de travail une cession de ces droits. La situation est donc ubuesque puisque un salarié payé pour réaliser un travail protégé au titre du droit d’auteur en conserve la propriété. Et on ne comprend pas comment dans ces conditions une entreprise pourrait prétendre à une protection sur des biens appartenant à ses salariés. Il existe cependant des exceptions qui résultent de dispositions législatives express : les logiciels et, dans une moindre mesure, les œuvres de presse écrite. Dans la fonction publique, depuis la loi DADVSI du 1er août 2006. Dans la mesure strictement nécessaire à l’accomplissement d’une mission de service public, le droit d’exploitation d’une œuvre créée par un agent de l’État dans l’exercice de ses fonctions ou d’après les instructions reçues est, dès la création, cédé de plein droit à l’État. Il faudrait donc une disposition d’inspiration analogue pour les entreprises et les salariés du privé. Le second sujet brûlant a surgi lors d’une affaire rocambolesque à l’été 2010, exactement le 21 juin.

LE RECOURS AUX INTÉRÊTS FONDAMENTAUX DE LA NATION

Un ancien salarié de l’entreprise Michelin est condamné pour avoir tenté de vendre au principal concurrent de son employeur, le japonais Bridgestone, des informations privilégiées. Le juge d’instruction retient alors un grand nombre d’incriminations dont celle d’atteinte aux intérêts vitaux de la Nation. Le tribunal correctionnel relaxera l’employé indélicat de ce chef de poursuite et le jugement met en exergue l’inapplicabilité des dispositions sur « l’espionnage ».

En effet, l’article 410-1 dispose que : « Les intérêts fondamentaux de la nation s’entendent au sens du présent titre de son indépendance, de l’intégrité de son territoire, de sa sécurité, de la forme républicaine de ses institutions, des moyens de sa défense et de sa diplomatie, de la sauvegarde de sa population en France et à l’étranger, de l’équilibre de son milieu naturel et de son environnement et des éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de son patrimoine culturel. » Or, les magistrats clermontois se sont heurtés à l’absence de définition du potentiel scientifique et économique de la France. Ils ne se sont pas en revanche interrogés sur ce qu’est une entreprise étrangère. Mais la question reste posée. Nos plus hautes autorités travaillent donc à une réforme de ce texte.

L’ACQUISITION DE L’INFORMATION

La LOPPSI II adoptée le 8 Février 2011 a fait couler beaucoup d’encre, notamment de la part de ses détracteurs qui y voyaient un texte liberticide et abusivement répressif.

LE STATUT DES AGENCES DIE

Cet acharnement a masqué l’adoption d’un nouveau statut des agences d’IE, dont la connaissance est restée confinée au sein d’un cercle étroit de professionnels. Pourtant, ces agents d’IE, aux termes du nouveau texte de loi, auraient eu la possibilité d’enquêter sur l’environnement économique, social, commercial, industriel ou financier d’une ou plusieurs personnes physiques ou morale », ce qui laissait perplexe au regard de la protection de la vie privée. Il y avait cependant un besoin important de réforme compte tenu des difficultés engendrées par la loi du 18 mars 2003, qui avait complété la loi du 12 juillet 1983. Ce texte avait réformé le statut des détectives privés désormais appelés « agents privés de recherches (APR) ». La définition posée par la loi du 18 mars 2003 de ce qu’est un APR est si vaste qu’elle englobait tout professionnel qui donne des informations à un tiers et toute personne entrant dans le champ d’application de la loi est soumise à des conditions d’exercice et de contrôles particulièrement draconiens, notamment son exercice était soumis à des agréments préfectoraux.

Ainsi, si l’on appliquait le texte, un grand nombre de professions étaient concernées : les documentalistes, les journalistes, les instituts de sondage, etc. Le statut très contraignant des APR a été appliqué de manière sporadique et sans grande cohérence. Les initiateurs du nouveau texte voulaient donc corriger ces errances. On ne peut qu’approuver une telle démarche, même si elle n’était sans doute pas exempte d’arrière-pensées.

En effet, le texte ne cessait de répéter comme un leitmotiv que PIE est une activité de sécurité privée: « En vue de la sauvegarde de l’ordre public, en particulier de la sécurité économique de la Nation et des éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique, sont soumises au présent titre les activités privées de sécurité… » Cette rédaction s’explique par la volonté de faire échapper les entreprises dépendant du statut à la Directive service (Directive 2006/123/CE de l’Union Européenne en date du 15 novembre 2006), comme cela a été reconnu lors des discussions parlementaires. En application de ce texte, une entreprise d’un des pays de l’Union peut exercer dans tous les autres États à condition qu’elle obtienne les autorisations nécessaires dans un des pays. Dès lors, il eût suffit pour échapper aux fourches caudines du nouveau texte, d’obtenir un agrément dans un autre pays de l’Union en application de la directive service.

C’est ce que voulaient éviter les promoteurs du nouveau statut. En effet, les activités de sécurité ne sont pas couvertes par la « directive service », d’où la volonté de rattacher l’IE à des pratiques sécuritaires. Autre incongruité, le texte visait à encadrer les sociétés de lobbying. La seule personne à s’en être émue a été la députée des Deux Sèvres, Delphine Batho. Elle était scandalisée par une légalisation du trafic d’influence alors qu’au contraire le texte visait à mettre fin aux abus de certains lobbyistes en encadrant leur activité. La LOPPSI II définissait donc les agences d’IE et leur imposait un statut léger au regard de celui des APR. Mais le 10 mars 2011, coup de théâtre, le conseil constitutionnel annule en ces termes le nouveau statut: Que l’imprécision tant de la définition des activités susceptibles de ressortir à l’intelligence économique que de l’objectif justifiant l’atteinte à la liberté d’entreprendre méconnaît le principe de légalité des délits et des peines ; qu’il s’ensuit que l’article 33 13 et les autres dispositions créées par l’article 32 de la loi déférée, qui constituent des dispositions inséparables, doivent être déclarés contraires à la Constitution.

Alors retour à la case départ de la loi du 18 mars 2003 ? Certainement non.

En effet la motivation du conseil constitutionnel pourrait être reprise pour annuler aussi les dispositions de la loi du 18 mars 2003 qui sont encore plus critiquables que celles de la LOPPSI II. Comment cela pourrait-il être possible ? En utilisant la question prioritaire de constitutionnalité qui vient d’être instaurée et qui a été utilisée récemment dans le cadre du procès de Jacques Chirac, le retardant de ce fait. Désormais, un justiciable poursuivi peut remettre en cause la constitutionnalité d’un texte de loi. Attendons donc un procès qui sera l’occasion de remettre en cause ce texte du 18 mars 2003. Est-ce un mal ? Ce n’est pas sûr. En effet, les agents d’IE ou détectives indélicats peuvent être sanctionnés sur le fondement des textes de droit commun comme l’intrusion informatique, le recel d’informations etc. Dès lors pourquoi créer un statut pour cette profession ?

INADAPTATION DU DROIT DU TRAVAIL

L’autre problématique que l’affaire Renault a fait surgir, c’est l’inadaptation de notre droit du travail à la recherche d’informations. Notre intention n’est pas d’analyser en détail cette affaire où le ridicule primerait si le sort de trois hommes n’avait pas été en jeu. Sur le plan juridique la problématique est la suivante : un employeur a des soupçons sur un salarié. A-t-il d’autres possibilités que de le licencier dans l’attente de l’enquête ? Probablement non. Il ne semble pas qu’il soit possible de faire une mise à pied conservatoire, le temps de pouvoir confirmer ses suspicions ou de les infirmer. Aucune proposition de réforme n’est faite en ce sens

SUR LA DÉSINFORMATION

DIFFICULTÉS D’IDENTIFIER LES AUTEURS

La difficulté des dossiers de désinformation tient le plus souvent à la difficulté d’identifier la personne auteur des propos litigieux. Ces personnes se retranchent le plus souvent derrière des identités fictives et usurpent parfois des identités.

Or, déceler l’identité réelle se cachant derrière une adresse IP nécessite des délais inhérents à l’obtention d’une autorisation de décision de justice. Ces délais se heurtent à fa durée obligatoire de conservation des informations de connexions qui n’est que d’une durée d’un an.

En effet, la mise en mouvement de l’institution judiciaire, que cela soit sur le plan civil ou pénal, est longue et dans la hiérarchie des priorités judiciaires, diffamations et dénigrements ne sont pas à traiter en priorité. Pourtant, le législateur a tenté un encadrement timoré de la désinformation dans la LOPPSI II, Timoré est le terme qui convient car la réforme de la LOPPSI II ne concerne que l’usurpation d’identité et nullement l’utilisation de pseudonymes de pure fantaisie.

De surcroit, la réforme s’avère très limitée. En effet, sous l’emprise des textes anciens il n’était possible de réprimer une usurpation d’identité que si elle pouvait conduire la personne dont l’identité était usurpée à subir une condamnation pénale à la place d’un tiers.

LA RÉFORME DE L’USURPATION D’IDENTITÉ

Le nouveau texte est ainsi libellé : « Le fait d’usurper l’identité d’un tiers ou do faire usage d’une ou plusieurs données de toute nature permettant de l’identifier en vue de troubler sa tranquillité ou celle d’autrui, ou de porter atteinte à son honneur ou à sa considération, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15.000 € d’amende. » Cette infraction est punie des mêmes peines lorsqu’elle est commise sur un réseau de communication au public en ligne. Il appartiendra aux tribunaux de définir la notion de trouble de tranquillité. Est-ce un concept applicable à une personne morale et regroupe t-elle les opérations de désinformation ? Le dénigrement n’est toujours pas réprimé, sauf sur le fondement de la responsabilité contractuelle habituelle, notamment à l’aide de pseudonyme.

Rien n’est fait non plus pour faciliter la recherche des désinformateurs. Cette problématique de l’usurpation/usage d’un pseudonyme est à mettre en perspective avec des dispositions de la LOPPSI II qui prévoit que « pour l’exercice d’une mission intéressant la défense et la sécurité nationale, les agents des services spécialisés du renseignement peuvent, sous l’autorité de l’agent chargé de superviser ou de coordonner la mission, faire usage d’une identité d’emprunt ou d’une fausse qualité. »

Or, il a été vu à l’occasion de l’affaire Michelin que la protection des informations d’une entreprise pouvait passer par le truchement des textes sur la protection de notre sécurité nationale. Or dans cette affaire, Michelin avait justement piégé son salarié en utilisant une fausse adresse email et en se faisant passer pour Bridgestone. Les années qui viennent seront donc décisives pour le droit de 1’IE.

Le droit de l’IE- (Editions Litec) par Thibault du MANOIR de JUAYE

MAÎTRE THIBAULT Du MANOIR DE JUAYE, Avocat à la Cour, ancien auditeur de l’IHESI (Institut des Hautes Études de la Sécurité Intérieure) et de l’IHEDN (Institut des Hautes Études de Défense Nationale, Session 1E), est désormais Membre du Collège permanent de l’Académie de l’lE et chargé d’enseignement à l’École Européenne d’intelligence économique. Il a par ailleurs publié plusieurs ouvrages dont le dernier « Les robes noires dans la guerre économique » vient de paraître aux éditions du nouveau monde. Son livre « Le droit pour dynamiser votre business » publié aux Éditions d’Organisation, lui a valu l’obtention du prix 2005 du meilleur ouvrage d’Intelligence Économique décerné par l’Académie de PIE. Il a publié en 2007 « le droit de l’Intelligence Économique » aux éditions L1TEC (Groupe LEXIS NEXIS).

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