Le vol d’information reconnu par la Cour de cassation
Par une décision du 20 mai 2015, la cour de cassation reconnaît le vol d’information. Quelle image retenir pour décrire la protection du secret des affaires ? Celle de l’Arlésienne : tout le monde en parle sans jamais la voir. Celle du monstre du loch ness : personne n’est certain de son existence !
Six questions pour comprendre l’affaire Richard Ferrand
Nouvelle interview de Maître Thibault du Manoir de Juaye dans le cadre de l’affaire immobilière et familiale Richard Ferrand qui a éclaté en mai 2017.
Affaire immobilière Richard Ferrand
Y a-t-il vraiment une « affaire immobilière et familiale » ? Pour répondre à cette question, Franceinfo a interrogé l’avocat Thibault du Manoir de Juaye, spécialiste du droit des sociétés. (…)
Avocats : des cabinets qui innovent
Nous poursuivons notre série de chroniques sur les professionnels du droit qui innovent, notamment en ce qui concerne la Relation-client (…)
De l’avocat réactif à l’avocat proactif
Le second colloque d’ouverture du Campus 2016 a été l’occasion de redéfinir le rôle de l’avocat dans la protection de l’entreprise. Elle implique, entre autres, une collaboration plus étroite entre la société et son conseiller juridique, afin de guérir mais aussi prévenir les différents risques. (…)
La protection des informations confidentielles au vu du jugement Michelin du 21 juin 2010
La gouvernance compétitive, rencontre avec S. Perrine et T. du Manoir de Juaye
Le droit de l’intelligence économique pour soutenir une politique industrielle
Le droit de l’intelligence économique pour soutenir une politique industrielle
Le droit de l’IE qui a fait l’objet d’études approfondies comporte trois grands volets : les règles régissant la protection de l’entreprise et de son patrimoine, celles encadrant l’acquisition de l’information et enfin les dispositions légales et réglementaires sur la désinformation et la contre-influence. Il n’est pas possible de présenter ce droit en quelques pages, nous n’évoquerons donc que les seuls points d’actualité dans ces trois domaines.
LA PROTECTION DU PATRIMOINE
ÉVOLUTION DE LA PROTECTION DU SECRET D’AFFAIRES
Le premier sujet brûlant de cette partie du droit de l’IE est, comme cela apparaît dans le texte de Bernard Carayon, les différentes propositions de réforme sur le secret des affaires. Il est donc inutile de revenir sur la proposition du député du Tarn. Notons cependant que le projet confidentiel d’une entreprise qui avait été imaginé par l’équipe délégué interministériel à l’intelligence économique » (DITE) a été soumis au Conseil d’Etat en vue de la rédaction d’un projet de loi. Le rapporteur du Conseil d’Etat aurait été assez cinglant dans sa critique de la proposition du DITE et il conviendrait d’examiner en détail cet avis non public pour juger non de sa pertinence, mais de la transposition du raisonnement à la proposition de Bernard Carayon. Cette dernière s’inscrit dans le prolongement d’une évolution jurisprudentielle récente et qui a trouvé les fondements juridiques suivants pour la protection de l’information : – Abus de confiance lorsque l’information a été remise volontairement à une personne qui la détourne de sa finalité pour l’utiliser à son profit personnel ou pour la remettre à des tiers. On peut utilement se référer à la motivation des décisions Clearstream, Valéo ou Michelin. – Recours à la prohibition de certains moyens d’acquisition de l’information comme par exemple les textes sur l’intrusion informatique ou même sur le vol (la cour de cassation dans un arrêt de 2008 quelque peu ésotérique semble admettre cette qualification, qui ne nous semble pas orthodoxe).
Il reste cependant quelques « trous » dans la protection. La tentative n’est pas réprimée, les textes sur la protection du patrimoine national (notamment espionnage) qui ont vocation à s’appliquer en principe aux entreprises sont trop imprécis pour servir de fondement comme l’a montré l’arrêt Michelin précité…
Il faudrait en outre légiférer pour contrôler les informations qui peuvent « fuiter », notamment à l’occasion de procès.
PROTECTION ET PROPRIÉTÉ DE L’INFORMATION.
Mais ces différents points peuvent paraître anec¬dotiques au regard d’une problématique fondamentale.
Il n’est pas possible de faire l’économie d’une réflexion sur le « propriétaire de l’information ». Cette démarche a échappé jusqu’à présent à toutes les personnes (dont j’ai fait partie – je bats ma coulpe) qui ont travaillé sur le thème de la protection des informations d’une entreprise.
En effet, une entreprise n’est légitime à revendiquer une protection au titre d’un secret des affaires que si elle possède un droit dessus. Truisme, me direz-vous! Mais la problématique posée est plus complexe qu’il n’y parait. La difficulté provient du code de la propriété intellectuelle (L.111-1 alinéa 3)qui précise que le contrat de louage d’ouvrage (qui comprend notamment le contrat de travail) n’emporte pas transfert des droits de propriété incorporels. En d’autres termes toutes prestations intellectuelles formalisées du salarié, par exemple des rapports, des analyses, des études, lui appartiennent.
Et circonstances aggravantes, il n’est pas possible de prévoir à l’avance dans le contrat de travail une cession de ces droits. La situation est donc ubuesque puisque un salarié payé pour réaliser un travail protégé au titre du droit d’auteur en conserve la propriété. Et on ne comprend pas comment dans ces conditions une entreprise pourrait prétendre à une protection sur des biens appartenant à ses salariés. Il existe cependant des exceptions qui résultent de dispositions législatives express : les logiciels et, dans une moindre mesure, les œuvres de presse écrite. Dans la fonction publique, depuis la loi DADVSI du 1er août 2006. Dans la mesure strictement nécessaire à l’accomplissement d’une mission de service public, le droit d’exploitation d’une œuvre créée par un agent de l’État dans l’exercice de ses fonctions ou d’après les instructions reçues est, dès la création, cédé de plein droit à l’État. Il faudrait donc une disposition d’inspiration analogue pour les entreprises et les salariés du privé. Le second sujet brûlant a surgi lors d’une affaire rocambolesque à l’été 2010, exactement le 21 juin.
LE RECOURS AUX INTÉRÊTS FONDAMENTAUX DE LA NATION
Un ancien salarié de l’entreprise Michelin est condamné pour avoir tenté de vendre au principal concurrent de son employeur, le japonais Bridgestone, des informations privilégiées. Le juge d’instruction retient alors un grand nombre d’incriminations dont celle d’atteinte aux intérêts vitaux de la Nation. Le tribunal correctionnel relaxera l’employé indélicat de ce chef de poursuite et le jugement met en exergue l’inapplicabilité des dispositions sur « l’espionnage ».
En effet, l’article 410-1 dispose que : « Les intérêts fondamentaux de la nation s’entendent au sens du présent titre de son indépendance, de l’intégrité de son territoire, de sa sécurité, de la forme républicaine de ses institutions, des moyens de sa défense et de sa diplomatie, de la sauvegarde de sa population en France et à l’étranger, de l’équilibre de son milieu naturel et de son environnement et des éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de son patrimoine culturel. » Or, les magistrats clermontois se sont heurtés à l’absence de définition du potentiel scientifique et économique de la France. Ils ne se sont pas en revanche interrogés sur ce qu’est une entreprise étrangère. Mais la question reste posée. Nos plus hautes autorités travaillent donc à une réforme de ce texte.
L’ACQUISITION DE L’INFORMATION
La LOPPSI II adoptée le 8 Février 2011 a fait couler beaucoup d’encre, notamment de la part de ses détracteurs qui y voyaient un texte liberticide et abusivement répressif.
LE STATUT DES AGENCES DIE
Cet acharnement a masqué l’adoption d’un nouveau statut des agences d’IE, dont la connaissance est restée confinée au sein d’un cercle étroit de professionnels. Pourtant, ces agents d’IE, aux termes du nouveau texte de loi, auraient eu la possibilité d’enquêter sur l’environnement économique, social, commercial, industriel ou financier d’une ou plusieurs personnes physiques ou morale », ce qui laissait perplexe au regard de la protection de la vie privée. Il y avait cependant un besoin important de réforme compte tenu des difficultés engendrées par la loi du 18 mars 2003, qui avait complété la loi du 12 juillet 1983. Ce texte avait réformé le statut des détectives privés désormais appelés « agents privés de recherches (APR) ». La définition posée par la loi du 18 mars 2003 de ce qu’est un APR est si vaste qu’elle englobait tout professionnel qui donne des informations à un tiers et toute personne entrant dans le champ d’application de la loi est soumise à des conditions d’exercice et de contrôles particulièrement draconiens, notamment son exercice était soumis à des agréments préfectoraux.
Ainsi, si l’on appliquait le texte, un grand nombre de professions étaient concernées : les documentalistes, les journalistes, les instituts de sondage, etc. Le statut très contraignant des APR a été appliqué de manière sporadique et sans grande cohérence. Les initiateurs du nouveau texte voulaient donc corriger ces errances. On ne peut qu’approuver une telle démarche, même si elle n’était sans doute pas exempte d’arrière-pensées.
En effet, le texte ne cessait de répéter comme un leitmotiv que PIE est une activité de sécurité privée: « En vue de la sauvegarde de l’ordre public, en particulier de la sécurité économique de la Nation et des éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique, sont soumises au présent titre les activités privées de sécurité… » Cette rédaction s’explique par la volonté de faire échapper les entreprises dépendant du statut à la Directive service (Directive 2006/123/CE de l’Union Européenne en date du 15 novembre 2006), comme cela a été reconnu lors des discussions parlementaires. En application de ce texte, une entreprise d’un des pays de l’Union peut exercer dans tous les autres États à condition qu’elle obtienne les autorisations nécessaires dans un des pays. Dès lors, il eût suffit pour échapper aux fourches caudines du nouveau texte, d’obtenir un agrément dans un autre pays de l’Union en application de la directive service.
C’est ce que voulaient éviter les promoteurs du nouveau statut. En effet, les activités de sécurité ne sont pas couvertes par la « directive service », d’où la volonté de rattacher l’IE à des pratiques sécuritaires. Autre incongruité, le texte visait à encadrer les sociétés de lobbying. La seule personne à s’en être émue a été la députée des Deux Sèvres, Delphine Batho. Elle était scandalisée par une légalisation du trafic d’influence alors qu’au contraire le texte visait à mettre fin aux abus de certains lobbyistes en encadrant leur activité. La LOPPSI II définissait donc les agences d’IE et leur imposait un statut léger au regard de celui des APR. Mais le 10 mars 2011, coup de théâtre, le conseil constitutionnel annule en ces termes le nouveau statut: Que l’imprécision tant de la définition des activités susceptibles de ressortir à l’intelligence économique que de l’objectif justifiant l’atteinte à la liberté d’entreprendre méconnaît le principe de légalité des délits et des peines ; qu’il s’ensuit que l’article 33 13 et les autres dispositions créées par l’article 32 de la loi déférée, qui constituent des dispositions inséparables, doivent être déclarés contraires à la Constitution.
Alors retour à la case départ de la loi du 18 mars 2003 ? Certainement non.
En effet la motivation du conseil constitutionnel pourrait être reprise pour annuler aussi les dispositions de la loi du 18 mars 2003 qui sont encore plus critiquables que celles de la LOPPSI II. Comment cela pourrait-il être possible ? En utilisant la question prioritaire de constitutionnalité qui vient d’être instaurée et qui a été utilisée récemment dans le cadre du procès de Jacques Chirac, le retardant de ce fait. Désormais, un justiciable poursuivi peut remettre en cause la constitutionnalité d’un texte de loi. Attendons donc un procès qui sera l’occasion de remettre en cause ce texte du 18 mars 2003. Est-ce un mal ? Ce n’est pas sûr. En effet, les agents d’IE ou détectives indélicats peuvent être sanctionnés sur le fondement des textes de droit commun comme l’intrusion informatique, le recel d’informations etc. Dès lors pourquoi créer un statut pour cette profession ?
INADAPTATION DU DROIT DU TRAVAIL
L’autre problématique que l’affaire Renault a fait surgir, c’est l’inadaptation de notre droit du travail à la recherche d’informations. Notre intention n’est pas d’analyser en détail cette affaire où le ridicule primerait si le sort de trois hommes n’avait pas été en jeu. Sur le plan juridique la problématique est la suivante : un employeur a des soupçons sur un salarié. A-t-il d’autres possibilités que de le licencier dans l’attente de l’enquête ? Probablement non. Il ne semble pas qu’il soit possible de faire une mise à pied conservatoire, le temps de pouvoir confirmer ses suspicions ou de les infirmer. Aucune proposition de réforme n’est faite en ce sens
SUR LA DÉSINFORMATION
DIFFICULTÉS D’IDENTIFIER LES AUTEURS
La difficulté des dossiers de désinformation tient le plus souvent à la difficulté d’identifier la personne auteur des propos litigieux. Ces personnes se retranchent le plus souvent derrière des identités fictives et usurpent parfois des identités.
Or, déceler l’identité réelle se cachant derrière une adresse IP nécessite des délais inhérents à l’obtention d’une autorisation de décision de justice. Ces délais se heurtent à fa durée obligatoire de conservation des informations de connexions qui n’est que d’une durée d’un an.
En effet, la mise en mouvement de l’institution judiciaire, que cela soit sur le plan civil ou pénal, est longue et dans la hiérarchie des priorités judiciaires, diffamations et dénigrements ne sont pas à traiter en priorité. Pourtant, le législateur a tenté un encadrement timoré de la désinformation dans la LOPPSI II, Timoré est le terme qui convient car la réforme de la LOPPSI II ne concerne que l’usurpation d’identité et nullement l’utilisation de pseudonymes de pure fantaisie.
De surcroit, la réforme s’avère très limitée. En effet, sous l’emprise des textes anciens il n’était possible de réprimer une usurpation d’identité que si elle pouvait conduire la personne dont l’identité était usurpée à subir une condamnation pénale à la place d’un tiers.
LA RÉFORME DE L’USURPATION D’IDENTITÉ
Le nouveau texte est ainsi libellé : « Le fait d’usurper l’identité d’un tiers ou do faire usage d’une ou plusieurs données de toute nature permettant de l’identifier en vue de troubler sa tranquillité ou celle d’autrui, ou de porter atteinte à son honneur ou à sa considération, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15.000 € d’amende. » Cette infraction est punie des mêmes peines lorsqu’elle est commise sur un réseau de communication au public en ligne. Il appartiendra aux tribunaux de définir la notion de trouble de tranquillité
. Est-ce un concept applicable à une personne morale et regroupe t-elle les opérations de désinformation ? Le dénigrement n’est toujours pas réprimé, sauf sur le fondement de la responsabilité contractuelle habituelle, notamment à l’aide de pseudonyme.
Rien n’est fait non plus pour faciliter la recherche des désinformateurs. Cette problématique de l’usurpation/usage d’un pseudonyme est à mettre en perspective avec des dispositions de la LOPPSI II qui prévoit que « pour l’exercice d’une mission intéressant la défense et la sécurité nationale, les agents des services spécialisés du renseignement peuvent, sous l’autorité de l’agent chargé de superviser ou de coordonner la mission, faire usage d’une identité d’emprunt ou d’une fausse qualité. »
Or, il a été vu à l’occasion de l’affaire Michelin que la protection des informations d’une entreprise pouvait passer par le truchement des textes sur la protection de notre sécurité nationale. Or dans cette affaire, Michelin avait justement piégé son salarié en utilisant une fausse adresse email et en se faisant passer pour Bridgestone. Les années qui viennent seront donc décisives pour le droit de 1’IE.
Le droit de l’IE- (Editions Litec) par Thibault du MANOIR de JUAYE
MAÎTRE THIBAULT Du MANOIR DE JUAYE, Avocat à la Cour, ancien auditeur de l’IHESI (Institut des Hautes Études de la Sécurité Intérieure) et de l’IHEDN (Institut des Hautes Études de Défense Nationale, Session 1E), est désormais Membre du Collège permanent de l’Académie de l’lE et chargé d’enseignement à l’École Européenne d’intelligence économique. Il a par ailleurs publié plusieurs ouvrages dont le dernier « Les robes noires dans la guerre économique » vient de paraître aux éditions du nouveau monde. Son livre « Le droit pour dynamiser votre business » publié aux Éditions d’Organisation, lui a valu l’obtention du prix 2005 du meilleur ouvrage d’Intelligence Économique décerné par l’Académie de PIE. Il a publié en 2007 « le droit de l’Intelligence Économique » aux éditions L1TEC (Groupe LEXIS NEXIS).
La proposition de Loi de Bernard Carayon
La proposition de Loi de Bernard Carayon
Monsieur Bernard Carayon, député du Tarn et auteur de plusieurs rapports connus sur l’intelligence économique, a déposé une proposition de loi tendant à protéger le secret des affaires. Il a voulu permettre aux entreprises françaises de bénéficier d’une protection au moins égale à celle dont disposent les entreprises américaines. Cette proposition a été cosignée par plus de 250 députés de tous horizons politiques. Les États-Unis ont en effet adopté l’« Economic Espionnage Act » en 1996, plus connu sous le nom de « Cohen Act », dont s’est manifestement inspiré Bernard Carayon. La réforme proposée par Bernard Carayon est articulée autour de deux axes : – la protection des informations économiques ; – la réforme du secret de fabrique. Nous vous proposons dans cet article, un extrait du livre de Thibault du Manoir de Juaye « Le Droit de l’intelligence Economique » aux Editions LITEC, avec l’aimable autorisation de l’auteur et de son éditeur.
LA PROTECTION DES INFORMATIONS ÉCONOMIQUES
LA DÉFINITION D’UNE INFORMATION ÉCONOMIQUE PROTÉGÉE
La proposition de loi définit ainsi les informations protégées : « Sont qualifiées d’informations à caractère économique protégées, les informations ne constituant pas des connaissances générales pouvant être facilement et directement constatées par le public, susceptibles d’être source, directement ou indirectement, d’une valeur économique pour l’entreprise, et pour la protection desquelles leur détenteur légitime a pris, après consultation du comité d’entreprise et information des salariés de l’entreprise, des mesures substantielles conformes aux usages. »
Il est très difficile de définir ce qu’est un secret d’affaires, Les juristes sont dans un premier temps tentés de dresser un inventaire à la Prévert : les clients, une formule pour un produit qui n’est pas breveté (comme celle du Coca Cola), un savoir-faire technique, etc.
Toutefois, un de ces éléments peut avoir une valeur considérable dans une entreprise et aucune valeur dans une autre. Ainsi dans certains secteurs d’activité, le fichier client n’a aucune valeur si les clients sont connus de tous. Par exemple, dans le secteur du nucléaire, les entreprises qui travaillent en France connaissent tous les donneurs d’ordre qui sont en nombre très restreints: AREVA, EDF, …
Dès lors, comment la loi, qui doit être objective, peut protéger des éléments dans des contextes subjectifs ? Bernard Carayon a considéré qu’à partir du moment où une entreprise investissait dans des moyens de protection de manière significative, elle se devait de pouvoir bénéficier de la protection do la loi.
Le terme substantiel » est celui utilisé pour les bases de données. C’est également la solution retenue par les États-Unis.
La question s’est néanmoins posée de savoir s’il fallait décrire ces protections ou laisser la possibilité d’élaborer les exigences de protection par décret. Toutefois, compte tenu de l’évolution des techniques de protection, notamment informatiques, des mesures préconisées par décret auraient eu toutes chances d’être obsolètes avant même d’être publiées. C’est la raison pour laquelle Bernard Carayon a préféré renvoyer aux usages, terme large qui peut laisser la place à une norme élaborée par l’Afnor ou d’autres organismes (norme ISO 27000 par exemple). Par ailleurs, la définition est subordonnée à une consultation du comité d’Entreprise, ce qui a paru incongru à certains. Cependant, il ne faut pas oublier qu’un comité d’Entreprise est obligatoirement consulté sur la mise en place de nouvelles technologies et que la proposition évite par cette consultation des conflits entre deux textes. En outre, la consultation des salariés pour les mesures de protection est à l’évidence un moyen pédagogique et de sensibilisation
.
La protection des informations peut heurter également des principes tels que la vie privée ou la liberté du travail et il apparaît donc préférable d’associer les représentants du personnel.
Toutes les informations ayant une valeur économique ne peuvent être protégées systématiquement puisque « ne constituant pas des connaissances générales pouvant être facilement et directement constatées par le public », elles sont exclues du champ d’application de la loi.
Cette expression est d’ailleurs très proche de celle utilisée pour le droit des brevets. Au demeurant, il faut se demander comment évaluer la valeur économique d’une information, ce qui laisse place à de nombreuses discussions.
LA SANCTION
Le texte prévoit la sanction suivante : « Est puni d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait pour toute personne non autorisée par le détenteur ou par les dispositions législatives et réglementaires en vigueur, d’appréhender, de conserver, de reproduire ou de porter à la connaissance d’un tiers non autorisé une information à caractère économique protégée. Présente le caractère de détenteur de l’information la personne morale ou physique qui dispose de manière licite du droit de détenir ou d’avoir accès à cette information ».
Toute réflexion sur le secret ne peut faire l’impasse sur la notion de détenteur. En effet, il y a la personne qui l’a créée ou acquise et celles qui peuvent avoir accès à l’information de par leur fonction ou mission. Cela peut être des autorités administratives, judiciaires, des commissaires aux comptes. Bernard Carayon a donc été sensible à cette notion. Il a cependant rédigé un texte redondant puisque la définition du détenteur aurait permis de faire l’économie de « ou par les dispositions législatives et réglementaires en vigueur ». Il faut également rappeler qu’un délit est un élément intentionnel et qu’une personne qui capterait par inadvertance un secret d’affaires ne pourrait être poursuivie. En revanche, si elle divulgue cette information de manière volontaire, elle pourrait être poursuivie. Si, en effet, l’information est captée par exemple de manière accidentelle dans le TGV ou dans un restaurant, comment la personne qui l’entendra pourra-t-elle savoir qu’elle est protégée au sens de la loi ?
LA RÉFORME DU SECRET DE FABRIQUE
Toute législation sur le secret des affaires viendra naturellement en concurrence avec celle régissant le secret de fabrique. Il faut donc prévoir une harmonisation entre les deux textes et c’est ce qu’a tenté de faire Bernard Carayon en proposant des dispositions qui pourraient être insérées dans le Code du travail. Après l’article L 152-7 du Code du travail, il est inséré une section 8 intitulée « Violation de la protection d’une information à caractère économique protégée » et comprenant deux articles L. 152-8 et L. 152-9 ainsi rédigés : Art. L.152-8. – « Le fait, par tout dirigeant ou salarié d’une entreprise où il est employé de révéler ou de tenter de révéler une information à caractère économique protégée au sens de l’article 226-14-2 du Code pénal, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ». Art. L. 152-9. » onobstant l’engagement de toute action pénale, le fait par tout dirigeant ou salarié de ne pas avoir respecté les mesures décidées par l’employeur pour assurer la confidentialité d’une information à caractère Économique protégée au sens de l’article 226-14-2 du Code pénal, et dont il était dûment informé, est passible d’une sanction disciplinaire telle que définie par l’article L.122-40 du présent Code ».
Le futur (?) article L. 152-8 du Code du travail n’appelle pas de remarque particulière puisqu’il est une reprise des dispositions qui pourraient être insérées dans le Code pénal. Le futur (?) article L. 152-9 précise simplement qu’indépendamment de toute action pénale, le non-respect de mesure de protection est une cause de licenciement.
REMARQUES SUR LA PROPOSITION DE BERNARD CARAYON
La principale critique qui est apportée à la proposition de Bernard Carayon est sa définition de l’information économique protégée et sa pénalisation du secret des affaires :
La définition posée par Bernard Carayon est peut-être perfectible. Elle présente cependant l’avantage d’être calquée sur la vie des entreprises et de laisser le soin à chaque entreprise de définir ce qui fait sa valeur ajoutée.
La création d’un nouveau délit est souvent critiquée, et l’on entend les détracteurs de toutes les évolutions du Code pénal expliquer que trop de textes ne sont pas appliqués, qu’il ne sert donc à rien d’encombrer le code, etc.
Cette approche est trop brutale pour être exacte, la problématique résultant plutôt de l’échelle des peines. Beaucoup de personnes ne comprennent pas, en effet, que certaines infractions qui leur semblent graves soient moins punies que d’autres qui leur apparaissent comme mineures, notamment dans le domaine économique.
La création d’une protection délictuelle du secret des affaires présente cependant plusieurs avantages : – cette création aurait un effet pédagogique certain, qui sensibiliserait les chefs d’entreprise à la protection de l’information ; – l’éventualité d’une peine aurait sans doute un effet dissuasif, qui entraînerait une moralisation nécessaire de l’intelligence économique ; – elle permettrait aux entreprises de bénéficier des moyens de l’État pour retrouver les auteurs d’infraction. Il leur suffirait pour cela de porter plainte devant un juge d’instruction.
Restent cependant en suspens des points sur lesquels le législateur devra s’interroger. En effet, comme cela a été vu, des mécanismes régulateurs ont été mis en place pour concilier le droit de la concurrence avec le monopole conféré notamment par les brevets.
Par ailleurs, faut-il prévoir une limite temporelle à la protection d’une information puisque le Code de la propriété intellectuelle a limité dans le temps les autres droits protégés ?
D’après un extrait du livre de THIBAULT ou MANOIR de Juaye Le Droit de l’Intelligence Économique » aux Editions LITEC.