La proposition de Loi de Bernard Carayon
La proposition de Loi de Bernard Carayon
Monsieur Bernard Carayon, député du Tarn et auteur de plusieurs rapports connus sur l’intelligence économique, a déposé une proposition de loi tendant à protéger le secret des affaires. Il a voulu permettre aux entreprises françaises de bénéficier d’une protection au moins égale à celle dont disposent les entreprises américaines. Cette proposition a été cosignée par plus de 250 députés de tous horizons politiques. Les États-Unis ont en effet adopté l’« Economic Espionnage Act » en 1996, plus connu sous le nom de « Cohen Act », dont s’est manifestement inspiré Bernard Carayon. La réforme proposée par Bernard Carayon est articulée autour de deux axes : – la protection des informations économiques ; – la réforme du secret de fabrique. Nous vous proposons dans cet article, un extrait du livre de Thibault du Manoir de Juaye « Le Droit de l’intelligence Economique » aux Editions LITEC, avec l’aimable autorisation de l’auteur et de son éditeur.
LA PROTECTION DES INFORMATIONS ÉCONOMIQUES
LA DÉFINITION D’UNE INFORMATION ÉCONOMIQUE PROTÉGÉE
La proposition de loi définit ainsi les informations protégées : « Sont qualifiées d’informations à caractère économique protégées, les informations ne constituant pas des connaissances générales pouvant être facilement et directement constatées par le public, susceptibles d’être source, directement ou indirectement, d’une valeur économique pour l’entreprise, et pour la protection desquelles leur détenteur légitime a pris, après consultation du comité d’entreprise et information des salariés de l’entreprise, des mesures substantielles conformes aux usages. »
Il est très difficile de définir ce qu’est un secret d’affaires, Les juristes sont dans un premier temps tentés de dresser un inventaire à la Prévert : les clients, une formule pour un produit qui n’est pas breveté (comme celle du Coca Cola), un savoir-faire technique, etc.
Toutefois, un de ces éléments peut avoir une valeur considérable dans une entreprise et aucune valeur dans une autre. Ainsi dans certains secteurs d’activité, le fichier client n’a aucune valeur si les clients sont connus de tous. Par exemple, dans le secteur du nucléaire, les entreprises qui travaillent en France connaissent tous les donneurs d’ordre qui sont en nombre très restreints: AREVA, EDF, …
Dès lors, comment la loi, qui doit être objective, peut protéger des éléments dans des contextes subjectifs ? Bernard Carayon a considéré qu’à partir du moment où une entreprise investissait dans des moyens de protection de manière significative, elle se devait de pouvoir bénéficier de la protection do la loi.
Le terme substantiel » est celui utilisé pour les bases de données. C’est également la solution retenue par les États-Unis.
La question s’est néanmoins posée de savoir s’il fallait décrire ces protections ou laisser la possibilité d’élaborer les exigences de protection par décret. Toutefois, compte tenu de l’évolution des techniques de protection, notamment informatiques, des mesures préconisées par décret auraient eu toutes chances d’être obsolètes avant même d’être publiées. C’est la raison pour laquelle Bernard Carayon a préféré renvoyer aux usages, terme large qui peut laisser la place à une norme élaborée par l’Afnor ou d’autres organismes (norme ISO 27000 par exemple). Par ailleurs, la définition est subordonnée à une consultation du comité d’Entreprise, ce qui a paru incongru à certains. Cependant, il ne faut pas oublier qu’un comité d’Entreprise est obligatoirement consulté sur la mise en place de nouvelles technologies et que la proposition évite par cette consultation des conflits entre deux textes. En outre, la consultation des salariés pour les mesures de protection est à l’évidence un moyen pédagogique et de sensibilisation
.
La protection des informations peut heurter également des principes tels que la vie privée ou la liberté du travail et il apparaît donc préférable d’associer les représentants du personnel.
Toutes les informations ayant une valeur économique ne peuvent être protégées systématiquement puisque « ne constituant pas des connaissances générales pouvant être facilement et directement constatées par le public », elles sont exclues du champ d’application de la loi.
Cette expression est d’ailleurs très proche de celle utilisée pour le droit des brevets. Au demeurant, il faut se demander comment évaluer la valeur économique d’une information, ce qui laisse place à de nombreuses discussions.
LA SANCTION
Le texte prévoit la sanction suivante : « Est puni d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait pour toute personne non autorisée par le détenteur ou par les dispositions législatives et réglementaires en vigueur, d’appréhender, de conserver, de reproduire ou de porter à la connaissance d’un tiers non autorisé une information à caractère économique protégée. Présente le caractère de détenteur de l’information la personne morale ou physique qui dispose de manière licite du droit de détenir ou d’avoir accès à cette information ».
Toute réflexion sur le secret ne peut faire l’impasse sur la notion de détenteur. En effet, il y a la personne qui l’a créée ou acquise et celles qui peuvent avoir accès à l’information de par leur fonction ou mission. Cela peut être des autorités administratives, judiciaires, des commissaires aux comptes. Bernard Carayon a donc été sensible à cette notion. Il a cependant rédigé un texte redondant puisque la définition du détenteur aurait permis de faire l’économie de « ou par les dispositions législatives et réglementaires en vigueur ». Il faut également rappeler qu’un délit est un élément intentionnel et qu’une personne qui capterait par inadvertance un secret d’affaires ne pourrait être poursuivie. En revanche, si elle divulgue cette information de manière volontaire, elle pourrait être poursuivie. Si, en effet, l’information est captée par exemple de manière accidentelle dans le TGV ou dans un restaurant, comment la personne qui l’entendra pourra-t-elle savoir qu’elle est protégée au sens de la loi ?
LA RÉFORME DU SECRET DE FABRIQUE
Toute législation sur le secret des affaires viendra naturellement en concurrence avec celle régissant le secret de fabrique. Il faut donc prévoir une harmonisation entre les deux textes et c’est ce qu’a tenté de faire Bernard Carayon en proposant des dispositions qui pourraient être insérées dans le Code du travail. Après l’article L 152-7 du Code du travail, il est inséré une section 8 intitulée « Violation de la protection d’une information à caractère économique protégée » et comprenant deux articles L. 152-8 et L. 152-9 ainsi rédigés : Art. L.152-8. – « Le fait, par tout dirigeant ou salarié d’une entreprise où il est employé de révéler ou de tenter de révéler une information à caractère économique protégée au sens de l’article 226-14-2 du Code pénal, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ». Art. L. 152-9. » onobstant l’engagement de toute action pénale, le fait par tout dirigeant ou salarié de ne pas avoir respecté les mesures décidées par l’employeur pour assurer la confidentialité d’une information à caractère Économique protégée au sens de l’article 226-14-2 du Code pénal, et dont il était dûment informé, est passible d’une sanction disciplinaire telle que définie par l’article L.122-40 du présent Code ».
Le futur (?) article L. 152-8 du Code du travail n’appelle pas de remarque particulière puisqu’il est une reprise des dispositions qui pourraient être insérées dans le Code pénal. Le futur (?) article L. 152-9 précise simplement qu’indépendamment de toute action pénale, le non-respect de mesure de protection est une cause de licenciement.
REMARQUES SUR LA PROPOSITION DE BERNARD CARAYON
La principale critique qui est apportée à la proposition de Bernard Carayon est sa définition de l’information économique protégée et sa pénalisation du secret des affaires :
La définition posée par Bernard Carayon est peut-être perfectible. Elle présente cependant l’avantage d’être calquée sur la vie des entreprises et de laisser le soin à chaque entreprise de définir ce qui fait sa valeur ajoutée.
La création d’un nouveau délit est souvent critiquée, et l’on entend les détracteurs de toutes les évolutions du Code pénal expliquer que trop de textes ne sont pas appliqués, qu’il ne sert donc à rien d’encombrer le code, etc.
Cette approche est trop brutale pour être exacte, la problématique résultant plutôt de l’échelle des peines. Beaucoup de personnes ne comprennent pas, en effet, que certaines infractions qui leur semblent graves soient moins punies que d’autres qui leur apparaissent comme mineures, notamment dans le domaine économique.
La création d’une protection délictuelle du secret des affaires présente cependant plusieurs avantages : – cette création aurait un effet pédagogique certain, qui sensibiliserait les chefs d’entreprise à la protection de l’information ; – l’éventualité d’une peine aurait sans doute un effet dissuasif, qui entraînerait une moralisation nécessaire de l’intelligence économique ; – elle permettrait aux entreprises de bénéficier des moyens de l’État pour retrouver les auteurs d’infraction. Il leur suffirait pour cela de porter plainte devant un juge d’instruction.
Restent cependant en suspens des points sur lesquels le législateur devra s’interroger. En effet, comme cela a été vu, des mécanismes régulateurs ont été mis en place pour concilier le droit de la concurrence avec le monopole conféré notamment par les brevets.
Par ailleurs, faut-il prévoir une limite temporelle à la protection d’une information puisque le Code de la propriété intellectuelle a limité dans le temps les autres droits protégés ?
D’après un extrait du livre de THIBAULT ou MANOIR de Juaye Le Droit de l’Intelligence Économique » aux Editions LITEC.