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Veillez pour éviter les litiges

Veillez pour éviter les litiges

ME DU MANOIR DE JUAYE, est un ancien membre du CJD. Il a publié Le droit pour dynamiser votre business (Ed. d’Organisation/prix IEC 2005). Rédacteur en chef du magazine Regard sur l’IE, il prépare un autre ouvrage, Droit de l’IE ( Ed.Litec)

Le droit est un atout pour l’entreprise. Explications de Maître Thibaut du Manoir de Juaye, avocat d’affaires et spécialiste des questions d’intelligence économique.

Dirigeant : pourquoi les PME doivent-elles faire de l’intelligence économique et juridique ?

Thibault du Manoir de Juaye : les deux sont étroitement liées. L’objectif en IE consiste à rechercher de l’information pour déceler les menaces présentes et à venir, et à saisir toutes les opportunités de développement. La démarche du juriste s’inscrit dans cette logique, défensive et offensive. Son rôle est, en plus, de prendre des positions juridiques à deux niveaux : celui du contentieux (comment éviter au maximum les procès) et celui de la protection du patrimoine de l’entreprise (de son capital immatériel en particulier).

D : Concrètement, que doit prévoir le juriste d’entreprise ?

T.M.J : dès qu’il y’a litiges ou procès, la difficulté réside dans la collecte des preuves. Or, un système d’IE est là précisément pour récolter des informations. La preuve est information. Imaginons le cas où l’entreprise veuille attaquer une partie adverse en détournement d’un fichier clients. Elle doit d’abord démontrer que celui-ci lui appartient. Une disposition à prendre, donc, avant le litige : créer des « clients fictifs » afin de prouver aux magistrats qu’en faisant « examiner le fichier de X, ce dernier comprendra tels et tels nom qui n’existent pas dans la réalité ». Le même raisonnement s’applique à la protection des bases de données.

D : Y a-t-il d’autres dispositions importantes à prendre ?

T.M.J : l’entreprise dispose des systèmes de protection prévus par le code de la propriété intellectuelle, notamment les marques, modèles, droits d’auteur et brevets qui ont bien sur un coût. Il faut toujours penser à la répression des infractions. Si une affaire est portée devant le pénal pour intrusion dans le système informatique, par exemple, l’entreprise aura à démontrer les agissements intentionnels du ou des auteurs du délit. D’où la nécessité, pour se protéger juridiquement, de définir au préalable des règles de jeu claires, vis-à-vis des salariés, dans une charte informatique…

D : comment le droit peut-il encore servir la veille faite par l’entreprise ?

T.M.J : toute organisation est liée à ses parties prenantes et à ses salariés par des contrats dans lesquels les dirigeants pensent surtout à une approche informationnelle. C’est oublier que lesdits contrats peuvent obliger les sous-traitants, personnels…à remonter de l’information au profit de l’entreprise. Prenons le cas des distributeurs ou agents commerciaux mandatés pour vendre des produits. Obligation peut leur être faite de signaler l’apparition de produits concurrents ou d’indiquer en quoi ceux qu’ils représentent doivent évoluer. Et ainsi de suite. L’enjeu, naturellement, est de savoir ensuite gérer ces remontées du terrain en interne.

Dirigeant /Nicole Villaret

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Distinguer intelligence économique et espionnage industriel

Distinguer intelligence économique et espionnage industriel

CIO:Pourquoi constate-t-on ces derniers temps un regain d’intérêt pour le droit de l’intelligence économique?

T du M de J: Vous avez raison de dire que, effectivement il y a regain d’intérêt, en particulier en lien avec les technologies de l’information et de la communication . L’IE est donc en pleine expansion et le droit a accompagné le mouvement. On a assisté en moins de dix ans à une reforme complète deu droit de l’IE. Cela est dû tout d’abord à une volonté de protéger le patrimoine national, suite à une prise de conscience liée à quelques affaires. De plus la récente évolution de la législation, pour suivre celle des technologies, a amené du neuf dans les pratiques privées et judiciaires, ce qui a aussi contribué à éveiller l’intérêt. Un exemple est celle de l’interception [les écoutes] des messages envoyés par SMS ou courriel: devait-on appliquer la procédure du courrier papier ou bien celle du téléphone? L’évolution de la loi a clarifié les procédures. Enfin, des affaires très médiatisés ont sans doute joué. Mais il faut distinguer l’intelligence économique et l’espionnage industriel. Les professionnels ont d’ailleurs aujourd’hui la volonté de moraliser le secteur.

CIO:Quels aspects de l’intelligence économique ont une dimension juridique?

T du M de J: On peut distinguer trois grands domaines concernés: la collecte d’information, la protection du patrimoine et ce qu’on pourrait appeler la désinformation. Concernant la protection du patrimoine immatériel (celui visé par l’intelligence économique), les entreprises se préoccupent traditionnellement des brevets, des marques de la propriété intellectuelle au sens large. Mais il ne faut pas oublier le patrimoine informationnel. Le député Bernard Carayon a d’ailleurs déposé un projet de loi concernant la protection du secret sur les informations pour lesquelles un effort substantiel de protection est engagé.

CIO: Les DSI sont plus concernés par la protection du système d’information des entreprises et donc par la lutte contre l’acquisition d’informations…

T du M de J: Il faut se souvenir que le texte de loi qui régissait les agents de recherches privées dataient de 1942, à l’époque où ces enquêteurs s’occupait surtout de surprendre en galante compagnie des maris ou des femmes volages. La loi du 18 Mars 2003 a mis à jour la réglementation. Mon livre (*) détaille les règles que doivent respecter de tels agents. Mais il ne faut pas oublier que l’intelligence économique, au sens où on l’entend en France ne repose que sur des manœuvres légales. Or l’intrusion dans un système informatique est typiquement une manœuvre délictuelle.

Mais il y a aussi d’autres opérations de veille informationnelle qu’il est difficile d’analyser sans que ceux qui les réalisent en soient toujours très conscient. Dans mon livre, je cite l’exemple des logiciel de veille qui « aspirent » (et donc copient en local) des pages sur Internet, par exemple un site d’informations boursières tel que Boursorama. Une telle copie est susceptible de se heurter à plusieurs dispositions légales, si l’on se situe hors du cadre de la copie privée, notamment: le droit à la vie privé (photographie des dirigeants d’entreprise…), le droit des bases de données (liste des informations sur une ou plusieurs entreprises ou secteurs), le droit des marques (logo du site…), le droit d’auteur (présentation général, articles d’analyse…) etc. Toutefois, cette analyse doit être contrebalancée par des notions d’intérêt à agir puisque le titulaire des droits aspirés peut ne subir aucun préjudice.

CIO: Mais menacer d’un procès voire en intenter un n’est-il pas parfois une manœuvre d’intelligence économique?

T du M de J: Tout à fait. Certains peuvent être tenté par un usage dévoyé des procédures judiciaires. Le cas typique est le détournement de la procédure contradictoire pour obtenir des informations sur l’activité de l’entreprise attaquée. Imaginons par exemple que A soupçonne B, qui vient de recruter un de ses commerciaux, d’avoir volé son fichier clients. Le fichier client de B va être saisi et faire l’objet d’un examen par les deux parties (le cas échéant, le fichier de A sera aussi montré à B). Si la clientèle de B est nettement plus importante que celle de A, cela peut être tentant de déclencher une telle procédure pour connaître la clientèle de B. Imaginons maintenant que B attaque A en procédure abusive et gagne. A sera condamné par exemple à quelques milliers d’euros au titre des frais de procédure engagés par B et une si faible somme pour un fichier clients, cela peut être tentant… Il faut apprendre aux entreprises à se prémunir contre de tels agissements. Les DSI ont aussi à gérer des projets imposés imposés par la réglementation comme la loi Sarbannes-Oxley. De telles lois signent en fait l’émergence d’un « droit de la délation ».

Propos receuillis par Bertrand Lemaire.
* « Le droit de l’intelligence économique ». Édition Litec.

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À propos de l’importance de l’intelligence économique dans la société de l’immatériel

À propos de l’importance de l’intelligence économique dans la société de l’immatériel

La question fondamentale dans l’économie de l’immatériel est la suivante : ce qui n’est pas protégé ou ce qui n’est pas protégeable a-t-il de la valeur ?

L’intelligence économique a connu ses lettres de noblesse en France en 1994, avant de subir un certain déclin, pour plusieurs raisons, et puis, comme le phénix, elle est renée de ses cendres, en 2003. fi faut savoir tout d’abord qu’il y a pratiquement autant de définitions de l’intelligence économique que de praticiens. Le député Bernard Carayon, qui a fait un excellent rapport sur le sujet en 2003, a voulu commencer par le définir. Et au bout de 30 ou 50 définitions, il s’est arrêté, épuisé, car chaque fois qu’il rencontrait quelqu’un, on lui proposait une approche nouvelle.

>Déclin des mécanismes de protection

Pour ma part, mes définitions valent ce qu’elles valent. Elles tournent toujours autour de la notion dématérialisée d’information, qui est le sujet de la conférence d’aujourd’hui. Concrètement, on peut définir l’intelligence économique en trois problématiques :

•La première concerne la notion de protection du patrimoine informationnel, qui est le seul point que j’aborderai ici.

•La deuxième traite de la recherche d’information. Et notamment la question de savoir si n’importe qui peut rechercher de l’information sur autrui, qui peut être une personne morale ou une personne physique. Est-ce que ces chercheurs d’information doivent être soumis à un régime spécial ? Une loi, très maladroite dans sa rédaction, a été publiée en 2003 sur le sujet. On se demande même, à sa lecture, si une personne qui fait une enquête terrain pour la Sofres ou qui est bibliothécaire ne devrait pas être agréée par la préfecture…

•La troisième concerne les problèmes d’influence et de désinformation, car l’information peut être souvent retournée. Par exemple, il y a environ dix-huit mois, il y a eu une campagne dans les journaux financiers sur le thème « Ces entreprises qui sont dirigées par des vieillards ». Les dirigeants d’entreprise qui avaient plus de 70-75 ans étaient visés, on entendait : faut qu’ils passent la main, ils ne savent plus gouverner, ils ne sont plus à la mode, etc. » Et puis, 15 jours après cette campagne, on a pu lire : « Tel laboratoire pharmaceutique est dirigé par M. Untel, 80 ans. » La difficulté avec l’économie de l’immatériel est que vous avez deux informations parfaitement véridiques, mais qui, mises bout-à-bout, aboutissent à un raisonnement négatif, qui en l’occurrence a déstabilisé l’entreprise en question. Pour revenir à la protection du patrimoine, on peut se demander si les mécanismes classiques de protection de la propriété intellectuelle sont adaptés à l’économie de l’immatériel.

Traditionnellement on considère que le brevet donne un droit privatif, pour récompenser et inciter à la créativité. Or le système semble battu en brèche dans plusieurs cas. Avec l’économie de l’immatériel se sont créés de multiples services de libre circulation, du type Wikipedia. En termes d’incitation à la création, l’approche est très nouvelle, puisque le moteur de la créativité n’est plus la protection, mais son partage. Et je pourrais citer de nombreux exemples du même type.

Un second problème concerne l’articulation de la protection avec le droit de la concurrence. L’économie de libre circulation des marchandises n’est-elle pas freinée par la propriété intellectuelle ? Regardez les différends de Microsoft avec la Commission européenne. Il y a aussi un aspect éthique, par exemple, dans le cas des médica¬ments contre le sida. Certains pays d’Amérique du Sud ont ouvertement déclaré contrefaire des médicaments qui permettent de sauver des vies humaines.

> Valoriser le patrimoine informationnel

Les démarches d’intelligence économique peuvent permettre de mieux appréhender ce problème de protection et donc de valorisation de l’immatériel.

Je vous propose donc d’aborder deux thèmes : celui du potentiel scientifique et économique de la France ; celui du secret des affaires.

Tout d’abord, le potentiel scientifique et économique de la France. Plusieurs textes, relativement récents – ils ont tous moins de cinq ans, correspondent à l’effort de la France d’adapter sa législation à l’économie de l’information et de l’immatériel. Prenons les textes sur l’espionnage, articles 411-6 et 410-1 du Code pénal.

Ce dernier article définit les intérêts fondamentaux de la nation. On y évoque des éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de son patrimoine culturel. On voit qu’une nouvelle notion d’économie de l’immatériel commence à apparaître, mais que celle-ci est déconnectée de tout ce que l’on connaît en matière de propriété intellectuelle. Cette notion de potentiel scientifique de la France est citée dans de nombreux autres textes.

Vous avez ce qu’on appelle les « interceptions de sécurité », c’est-à-dire la possibilité de procéder soit à des écoutes téléphoniques, soit des contrôles d’e-mails, sans autorisation judiciaire pour des raisons de sécurité. Ainsi, il est possible d’ « écouter » pour protéger les éléments du patrimoine scientifique. Puis, plus récemment, il y a moins d’un an, le code des marchés publics a prévu que l’on peut déroger aux règles sacro-saintes du marché public si l’appel d’offres porte atteinte au potentiel scientifique et économique de la France. On voit que l’immatériel surgit mais le juriste que je suis est dans une énorme perplexité, car enfin : qu’est-ce que le potentiel scientifique et économique de la France ? Et comment peut-on appliquer ces textes ?

> De la valeur du secret

J’en arrive à mon second point sur la protection du patrimoine immatériel : celui du secret des affaires. Il faut prendre la notion de secret des affaires dans son acception la plus large possible, c’est-à-dire de droit de divulguer et d’organiser la diffusion d’une information gardée jusque-là secrète.

Prenons un premier exemple : comment protéger une information en panant du principe qu’elle n’est pas protégeable par les modes de protection que l’on connaît déjà ? Par exemple, je note sur mon agenda que je pars en Ouzbékistan ou ailleurs. À mon grand regret, cette information n’intéresse pas grand monde. Mais si cette information figure sur l’agenda du P-DG de Saint-Gobain, de Total ou de France Télécom, elle devient éminemment stratégique.

Donc, comment protéger une information dont la valeur varie en fonction d’un contexte subjectif ? La loi doit être objective, mais en ce qui concerne l’information, et c’est le propre de l’économie de l’immatériel, dans telle entreprise elle ne vaudra rien et dans telle autre elle aura beaucoup de valeur.

Deuxième exemple. Prenons un fichier clientèle : dans certaines entreprises, il aura une valeur extrêmement importante, en revanche si je travaille dans le nucléaire en France, les clients sont connus Areva, EDF… Mon fichier est boudé et n’a pas de valeur. Toute la difficulté en termes de valorisation est donc de savoir ce que l’on doit protéger.

Les Américains ont réfléchi à cette question bien avant nous. Une loi a été adoptée en 1996, l’Economic Espionage Act, que l’on appelle aussi le Cohen Act », Pragmatiques, ils ont estimé que du moment où l’entreprise investit pour protéger son information, celle-ci a de la valeur.

 

Les Américains ont donc adopté cette loi qui était censée protéger les entreprises américaines contre les prédateurs étrangers, notamment contre le vol d’informations. Et maintenant, dix ans après, quel bilan ?

Le bilan est déconcertant, car en fait, ce sont surtout les entreprises américaines qui ont utilisé ces dispositions pour s’attaquer entre elles. En réalité, peu d’entreprises étrangères ont été poursuivies à ce titre.

Et la France dans tout cela ? Une proposition de loi similaire, pour protéger les informations économiques, a été déposée par Bernard Carayon en 2004. Elle fonctionne selon le même principe que la loi américaine si l’entreprise investit, elle a droit a des sanctions pénales si des informations protégées sont divulguées. Avec cependant quelque modération : bien évidemment, sont exclues de la protection les informations qui sont déjà dans le domaine public. Il y a aussi la nécessité de consulter le comité d’entreprise sur la mise en place des systèmes de protection. L’idée généreuse étant d’associer les forces vives de l’entreprise au système de protection. D’autres textes sur le droit du travail imposent également de consulter les représentants du personnel. Le législateur a donc voulu éviter une contradiction des lois.

En conclusion, je pense que c’est en répondant à la question préalable – comment protège-t-on une information ? – que l’on saura comment la valoriser. Ce qui donnera lieu, peut-être, à des investissements substantiels dans les entreprises par des fonds d’investissement. <

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Intelligence économique et secret des affaires – le point de vue des juristes

Intelligence économique et secret des affaires – le point de vue des juristes

Les entreprises se sont approprié les techniques de l’intelligence économique par des opérations de veille et de protection de leur patrimoine. Les chefs d’entreprises ont alors naturellement voulu savoir dans quel cadre légal ils devaient évoluer. Le corpus législatif des textes intéressant l’intelligence économique est en constante évolution. Les entreprises dont l’activité principale est l’intelligence économique se voient dans la perspective d’un nouveau statut, tandis qu’en parallèle la réflexion avance sur la protection du secret des affaires en tant que tel par le droit pénal.

Définition de l’intelligence économique (IE). — Dans l’esprit du grand public, l’intelligence économique est un recyclage de barbouzeries au service des entreprises. Nous serions donc aux antipodes du droit !
De leur coté, les professionnels se complaisent dans une multitude de définitions, chaque praticien ayant la sienne. I. Bernard Carayon, député du Tarn, a été mandaté en 2003 par le Premier ministre de l’époque pour réaliser un rapport sur l’intelligence économique et n’a pas relevé moins de 28 définitions.
Certains mettent l’accent sur la connotation anglo-saxonne terme que l’on retrouve dans l’expression « Intelligence service », pour indiquer qu’il s’agit essentiellement de la recherche d’informations. Cependant, en France, depuis longtemps l’expression d’« intelligence avec l’ennemi » était utilisée.
D’aucuns (plus cocardiers ?) préfèrent se tourner vers l’étymologie et relève qu’«intelligence » signifie «mettre du lien entre». Cette définition est plus orientée vers l’analyse de l’information que vers sa recherche. Elle complète fort bien la précédente.
Une tentative de réconciliation et de synthèse a été réalisée par l’université de Montpellier III, sous l’influence du professeur Damien Bruté de Remur, qui utilise l’expression d’«intelligence informationnelle », qui est sans doute la plus adéquate.
Ce manque de définition est de nature à heurter la passion des juristes pour la taxonomie.
Par ailleurs, définir l’intelligence économique en examinant les pratiques des professionnels qui se revendiquent comme tels n’est pas plus réaliste comme le montre la diversité des membres de la Fédération des professionnels de l’intelligence économique (FEPIE) créée par l’amiral Lacoste ainsi que la typologie des métiers de l’intelligence économique qui a été récemment réalisée. Il n’y a pas non plus de méthode de travail homogène.

Malgré ce flou, il est possible de retenir trois piliers qui structurent l’intelligence économique :
– la collecte d’information ;
– la protection de l’information
– les opérations d’influence (notamment lobbying) ou de contre influence (désinformation).
L’intelligence économique a d’abord émergé en France grâce au rapport Martre de 1994. Pour des raisons politiques, l’élan a été hélas brisé jusqu’aux années 2003/2004 qui ont vu le premier rapport de M. Bernard Carayon, député du Tarn, et l’institution d’un Haut responsable à l’Intelligence Économique (HRIE), nommé en la personne de M. Alain Juillet.
C’est en grande partie sous son impulsion que l’État a entrepris un grand nombre de réformes pour :
– protéger notre patrimoine économique pour que nous soyons à « armes égales » avec nos concurrents étrangers. Les tenants de cette protection ont favorisé l’émergence de la notion de patriotisme économique qui est très controversée, notamment au regard des obligations européennes de la France;
– développer une politique d’intelligence territoriale desti¬née à irriguer les entreprises en information susceptible de les aider dans leur croissance. C’est cette politique qui a abouti à la création des pôles de compétitivité.
Concomitamment, les entreprises ou tout au moins certaines d’entre elles , se sont approprié les techniques de l’intelligence économique par des opérations de veille et de protection de leur patrimoine. Les chefs d’entreprises ont alors naturellement voulu savoir dans quel cadre légal ils devaient évoluer.
Ce cadre légal a été en constante évolution compte tenu d’une abondante production législative articulée autour de trois axes majeurs :
– l’adaptation de notre environnement à l’univers numérique qui s’est traduit notamment par la loi sur la confiance dans l’économie numérique 9 ou la loi sur les droits d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information (dite loi DAD-VSI) ;
– la volonté de protéger notre patrimoine national face aux concurrents étrangers ;
– le souhait de moraliser les membres d’une profession qui sont assimilés, notamment par les médias, de façon abrupte et lapidaire, à des espions.

L’intelligence juridique : Définition. L’intelligence économique a alors engendré des avatars dans de nombreux domaines et l’on a vu florès d’expressions comme l’intelligence juridique , l’intelligence sociale ou l’intelligence des risques (qui a donné lieu à une réflexion approfondie et intéressante par MM Bernard Besson et Jean-Claude Possin).
L’intelligence juridique peut se concevoir comme la recherche, le traitement et la transformation d’informations en connaissances avec un triple objectif :
– premièrement : de permettre à l’entreprise d’éviter les contentieux et à défaut d’obtenir gain de cause devant les tribunaux ; il faut notamment que les juristes s’imprègnent des méthodes de l’intelligence économique pour développer une stratégie de la preuve, avant l’émergence de tout différend ou litige ;
– deuxièmement : obtenir la reconnaissance et la protection juridique des droits incorporels et immatériels de l’entreprise et ce aux confins de la propriété intellectuelle classique ;
– troisièmement : venir en appui d’opérations d’intelligence économique.
L’intelligence juridique n’est pas en soi une matière nouvelle puisque ses bases ont été posées au cours de ces dix dernières années et l’on a vu plusieurs ouvrages paraître sur ce thème, d’intérêt d’ailleurs très inégal. Quelques juristes compétents se sont intéressés, aux détours d’articles, à la matière comme Bertrand Warusfel ou Eric Caprioli, tous deux avocats, sans toutefois avoir voulu développer une réflexion exhaustive.
Le corpus législatif des textes intéressant l’intelligence économique est en constante évolution comme le montre le projet de loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure.

1. L’intelligence juridique : évolution de l’article 27 du projet de la LOPSI

Depuis la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure qui a modifié la loi du 12 juillet 1983 réglementant les activités privées de sécurité, les praticiens de I’IE s’interrogeaient sur le statut qui pouvait leur être applicable. Il est vrai que le texte était perturbant par ses contradictions immenses. Ainsi, il était défini un champ d’application très vague et vaste qui aurait dû normalement conduire de très nombreuses entreprises à subir les lourdes contraintes de la loi et d’autre part, il était précisé qu’il s’appliquerait seulement à des professionnels libéraux. En outre, les contraintes démesurées inhérentes au statut ne pouvaient que conduire les entreprises à frauder.
Tous ceux qui oeuvraient de près ou de loin dans le domaine de l’IE s’en étaient émus, ce qui avait conduit à la création de la Fédération des professionnels de I’IE (FEPIE).
Une majorité des sociétés d’IE ont refusé le joug de la loi, préférant s’atteler à des tâches plus nobles. Certaines d’entre elles ont d’ailleurs été condamnées pour exercice illégal de la profession, tandis que d’autres bénéficient d’une mansuétude inexpliquée alors qu’elles exercent leur activité à la vue de tous.
La future loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (LOPSI II) qui ne concerne pas particulièrement l’IE comporte un article 27 destiné à remédier aux errements du texte de 2003. Un précédent projet avait circulé. Il a été heureusement grandement amendé.
Une circulaire du ministère de l’Intérieur aurait demandé aux fonctionnaires des forces de l’ordre de ne plus intenter de poursuites sur le fondement de la loi de 2003, depuis l’élaboration du projet de loi.
Au moment où ce projet commence à circuler, par une troublante coïncidence la presse regorge de faits d’armes peu glorieux de sociétés privées, ce qui sera invoqué, à n’en pas douter, comme argument pour faire passer le texte de la loi. Quelques exemples :
– Bernard Thibault, le leader de la CGT, aurait été espionné, quoique d’aucuns prétendent que le matériel découvert aurait été inopérant. L’affaire a été classée sans suite ;
– Olivier Besancenot aurait été espionné pendant plusieurs mois, d’octobre à janvier dernier, par une officine privée pour le compte d’une société qui lui reprocherait de critiquer ses produits ;
– Laurence Parisot, la présidente du MEDEF, conteste vigoureusement avoir fait appel à une société privée pour espionner certains salariés ;
– Deutsche Telekom aurait été pris la main dans le sac des écoutes illégales ;
– Patrick Baptendier, un ex-gendarme reconverti dans le renseignement privé, publie un ouvrage « Allez-y, on vous couvre », sous-titré « un barbouze au service de l’État ». Aujourd’hui, il attend son procès pour «corruption, recel de corruption, complicité de violations de fichiers automatisés », après avoir passé plus de quatre mois derrière les barreaux ;
– ATTAC aurait été espionné à la demande de Nestlé en Suisse ;
– le discounter allemand LidI a été condamné à verser 1,462 million d’euros pour avoir espionné certains de ses salariés.
On ne peut donc qu’approuver la volonté de corriger le texte, même si d’aucuns s’interrogent sur la nécessité même de réglementer la profession, notamment au regard de la directive «services ». Mais il existe de nombreux textes qui protègent la vie privée, répriment l’intrusion informatique, encadrent la divulgation du secret de fabrique, etc. Alors pourquoi un nouveau texte ?

A. – Champ d’application

Le premier article du texte définit le champ d’application du nouveau statut tandis que le dernier s’efforce de réduire celui applicable aux agents de recherches privées.
Le nouveau texte devrait s’appliquer « aux entreprises dont l’activité principale est la recherche, aux fins de traitement, d’informations non disponibles et qui ont une incidence significative pour l’évolution des affaires, la situation financière ou sociale d’une ou plusieurs personnes physiques ou morales.
Ne relèvent pas de cette définition les officiers publics ministériels, les auxiliaires de justice, les entreprises de presse ainsi que les entreprises qui fournissent ces services à titre accessoire des prestations juridiques, financières ou informatiques pour leurs clients ».
La notion d’activité principale qui n’apparaissait pas dans le texte précédent est un ajout intelligent qui permet d’écarter les personnes morales ou physiques qui exercent de manière soit ponctuelle, soit marginale le recueil d’information stratégique. La liste d’exclusion apparaît également comme pertinente.
La notion d’information non disponible apparaît également intéressante puisque elle permet d’écarter du champ d’application les sociétés qui font de la veille sur le Net, les documentalistes, etc.
Toutefois, des interrogations naîtront sur la notion de « non disponible ». Faut-il comprendre ce terme comme une information non publiée ? Non communiquée volontairement par son détenteur ? Prenons l’exemple d’un rapport de stage comportant des informations sur une entreprise. Relèvera-t-il de l’information disponible ? En sera-t-il de même si ce rapport est déposé à la bibliothèque de l’université ou de l’école à laquelle appartient le rédacteur auteur de l’acte ?
Enfin, l’information doit avoir une influence significative sur une situation économique ou sociale d’une personne morale ou physique.
Le terme significatif prêtera certainement également à discussion.
Il avait été reproché au texte de 2003 de ne viser que les professions libérales sans que l’on sache exactement à quoi correspondait cette notion. Le nouveau texte s’applique aux entreprises. Or, même si ce concept se retrouve parfois dans le droit (par exemple dans le droit social avec les comités d’entreprises ou dans le droit des faillites), il est en réalité des plus flous. Un consultant indépendant comme il y en a tant dans le domaine de l’IE peut-il être à lui seul une entreprise ? À l’inverse, quid des groupes de sociétés ?
Dès lors, comment sera appréciée l’exigence de l’activité à titre principale ? Le sera-t-elle au niveau de l’ensemble du groupe ou bien au niveau de la société considérée ?
Cette volonté de se rattacher à la notion d’entreprise est d’autant plus dommageable que le texte propose une nouvelle rédaction de l’article 20 de la loi de 1983, où il est précisé que le statut très contraignant des agents de recherches privées s’applique désormais à toute personne recherchant des informations en vue de la défense d’intérêts.

B. – Statut

Le statut défini par le projet est beaucoup plus souple, plus léger, et tient non pas de la cure d’amaigrissement mais de l’anorexie si on le compare au statut défini en 2003.
Il faut, d’une part, un agrément des dirigeants ou associés et, d’autre part, une autorisation d’exercer pour la structure.
1° Agrément des associés ou dirigeants
• Bénéficiaire de l’agrément. – Cet agrément est accordé aux personnes qui :
1) exercent à titre individuel, dirigent, gèrent ou sont associés d’une personne morale entrant dans le champ d’application de la loi.
Cette rédaction suscite deux remarques :
– il subsiste une interrogation sur le régime applicable en cas de détention indirecte du capital : faut-il remonter à l’actionnaire personne physique ultime ?
– les salariés sont donc exclus de l’agrément, contrairement à ce qui se passait sous le régime du texte adopté en 2003 ;
2) sont de nationalité française ou ressortissant d’un État membre de l’Union européenne ou d’un des États parties à l’accord sur l’Espace économique européen. Cela exclut a priori la possibilité de détention par une société américaine qui serait associée d’une société entrant dans le champ d’application du texte ;
3) n’ont pas fait l’objet de condamnation correctionnelle ou criminelle.
4) dont le comportement ou les agissements ne sont pas contraires à l’honneur, à la probité, aux bonnes moeurs ou de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes ou des biens, à la sécurité publique ou à la sûreté de l’État. Sont écartées les atteintes au potentiel scientifique et économique de la France qui interdisaient l’exercice de la profession aux termes de la loi de 2003 ;
5) un régime particulier est prévu pour certains fonction¬naires notamment ceux des forces de l’ordre.
• Octroi de l’agrément. L’agrément est octroyé par le représentant de l’État dans le département, qui aura donc pour mission de vérifier si l’associé et/ou le dirigeant remplit les conditions posées par la loi.
2° Autorisation d’exercer de la structure
L’autorisation est donnée par le représentant de l’État dans le département après avis d’une commission consultative dont la composition sera fixée par décret et après examen de la liste du personnel, qui doit en outre être communiquée chaque année.
Il n’est pas besoin d’avoir une boule de cristal pour deviner qu’un intense lobbying va se développer pour influencer la composition de la commission. Outre des professionnels de l’IE (mais quelle en est l’association représentative ?), il apparaîtrait normal que soient membres de la commission des garants de la liberté individuelle (CNIL, ? associations ?).
3° Absence de rappel à la formation
Le contraste est saisissant entre les exigences de loi de 2003 et celui du texte proposé. N’importe quel individu sans qualification professionnelle pourra solliciter un agrément. Or, hormis la formation technique que chacun pourra acquérir, il y a des connaissances qu’il est important de posséder ; il s’agit de, limites légales et déontologiques de la recherche et du traitement de l’information.
Le HRIE a publié, après un travail important avec les professionnels de l’IE un référentiel de formation, qui fait autorité en la matière. Il est dommage que la loi ne s’y rapporte pas en exigeant que les personnes exerçant l’activité soumise à la loi aient suivi une formation répondant aux exigences du référentiel.
La tentative de réglementation de l’IE par le premier projet LOPSI II était d’une complexité inimaginable. Le nouvel article 27 constitue une avancée significative qu’il faut saluer et encourager.
Le champ d’application est maintenant circonscrit avec une relative précision, même s’il conviendrait de fixer ce qu’est une information non disponible ou ayant une incidence significative. Il devrait donc satisfaire pleinement nombre de sociétés d’IE.
Un grand nombre d’entreprises vont être exclues du champ d’application de la loi. Quel sera alors leur statut ? Celui de la loi de 2003. Sans doute. Et, c’est là que le bât blesse car la définition même modifiée de cette loi reste trop large, trop floue, et il faudrait faire appel à la notion de renseignement humain pour la restreindre.
2. Une évolution nécessaire : le secret des affaires ?

De récentes affaires de « vol » de secret d’affaires ont été évoquées par les médias :
• Une secrétaire de Coca Cola aux États-Unis a proposé la formule de la célèbre boisson à Pepsi Cola qui s’est empressé d’avertir fort correctement son concurrent. Bilan : huit ans de prison pour elle et cinq ans pour son complice. La décision du juge est fondée sur le Cohen Actde 1996.
• En France, affaire quasi identique : en janvier 2008, un salarié a tenté de vendre un secret au concurrent de son entreprise, le concurrent avertissant l’employeur de l’indélicat. Il est facile de reconnaître Michelin et Bridgestone qui, en l’espèce, a fait preuve de la plus grande correction.
Fondement des poursuites vol de secret de fabrique et atteinte au secret de la défense nationale. Il est vrai que le site de la société Michelin était sans doute classé.
•Quelques semaines auparavant, la célèbre stagiaire chinoise de Valeo était condamnée pour abus de confiance que Code pénal définit de la manière suivante : « L’abus confiance est Ie fait par une personne de détourner, au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé ».
• Toujours sur le mois de janvier 2008, une personne est arrêtée à la demande de la société Dassault à qui elle aurait volé des secrets industriels à la suite d’une intrusion informatique. On voit donc là trois affaires en France qui semblent identiques et pourtant, à chaque fois, des fondements juridiques différents pour poursuivre le vol de secrets d’affaires. Ces multiples fondements témoignent de la difficulté pour les juristes de déterminer les textes applicables.
Cette difficulté est liée à l’absence de texte réprimant le secret des affaires, qu’il est d’ailleurs difficile à définir.
Cependant, il est fort probable que les différents pays européens adopteront, si ce n’est déjà fait, des législations sur le secret des affaires et sur la protection des entreprises de défense.
En effet, l’accord sur les Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) obligent les pays adhérents à élaborer une protection du secret des affaires. En 2004, une proposition de loi a ainsi été déposée en France sur le bureau de l’Assemblée nationale par M. Bernard Carayon.
Cette proposition de loi est directement inspirée de l’Economic Espionnage Act américain de 1996 (également appelé Cohen Act). Le principe de la loi (énoncé de façon sommaire et sans nuance) est le suivant : « Toute personne qui a accès ou s’approprie sans autorisation des informations représentant une valeur économique, qui ne sont pas dans le domaine public et pour lesquelles une entreprise a pris des mesures de protection substantielles est passible de sanctions pénales et civiles ».
Des groupes de réflexion travaillent actuellement sur une amélioration du texte à qui d’aucuns ont reproché de ne pas avoir pris en compte la notion de secret partagé (certaines informations doivent être divulguées auprès des pouvoirs publics par exemple et sont donc partagées) et celle des obligations de transparence (par exemple le rapport sur les risques pouvant affecter les entreprises).
D’autres questions devront être abordées impérativement et l’on peut en citer deux :
– celle des conflits de lois : cette question est loin d’être théorique puisque l’on peut imaginer qu’un secret soit volé en France pour une activité devant s’exercer en Russie, le voleur étant américain et agissant pour le compte d’une société allemande !
Peut-on également considérer que les lois de compétence et les traités sur la propriété intellectuelle seront applicables à un éventuel secret des affaires ? En effet, la propriété intellectuelle est souvent invoquée pour protéger le patrimoine de l’entreprise.
– la protection du secret des affaires s’oppose-t-elle au droit de la concurrence tout comme un brevet ?
D’autres problématiques devraient s’ouvrir avec une notion voisine, celle de la protection du potentiel scientifique et économique de la France, qui apparaît dans de nombreux textes et qui peut être utilisée par les entreprises pour défendre leur patrimoine.
Compte tenu des enjeux que représente le secret des affaires et du besoin impérieux de réglementation, il a été décidé de présenter une approche de la législation sur le secret des affaires dans les principaux pays d’Europe. Espérons que cette étude contribuera de manière utile à l’adoption d’une législation en France, tout comme le point de vue de Louis Martin , à la fois directeur juridique et magistrat au tribunal de commerce de Paris.
Si l’on avait voulu donner une approche complète du droit de l’intelligence économique, il eut fallu d’abord aborder de nombreux sujets comme la légalité de la collecte d’information, le problème de leur archivage, de leur communication, et le droit de la sécurité de l’information, qui se distingue de la propriété intellectuelle.

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Le droit : une arme dans la guerre économique

Le droit : une arme dans la guerre économique

Le droit une arme dans la guerre économique

Thibault du Manoir de Juaye est un auteur prolixe qui occupe un créneau peu fréquenté, à l’intersection du droit et de l’intelligence économique. Cela est somme toute logique car, outre son goût pour l’écriture, cet avocat s’intéresse activement et depuis longtemps à l’intelligence économique

Dans l’ouvrage «Les robes noires dans la guerre économique» qu’il vient de publier aux éditions Nouveau monde, il aborde un aspect souvent ignoré ou mal connu des «guerres» — en général économiques — que peuvent se mener dans la durée, et souvent avec une forte intensité, différents organismes ou entreprises.

Lorsque ces «guerres» atteignent un certain niveau de violence, il n’est pas rare que la communication prenne le relais et que par la presse, le grand public — au moins le grand public professionnel — en soit informé. Mais ce grand public n’en perçoit que l’écume et ignore le plus souvent les multiples procédures judiciaires, qui forment la colonne vertébrale de l’évolution du conflit.

En effet, si certaines «guerres économiques» sont avant tout affaires de communication et de lobbying, d’autres sont essentiellement constituées d’une multitude de procédures judiciaires, parfois indépendantes les unes des autres, mais ayant en général pour caractéristique de connaître plusieurs rebondissements s’étalant dans un temps assez long.

Il fallait un praticien du droit ayant un réel intérêt pour l’intelligence économique pour être capable de retracer, sans faire de faux sens ni de contre sens, les épisodes judiciaires parfois multiples et les situer dans les stratégies globales des différents protagonistes.

C’est ce à quoi s’est attelé l’auteur, avec la prudence nécessaire pour éviter tout risque de diffamation, sur une série d’affaires qui, pour la plupart, ont défié la chronique.

Parmi les histoires connues, figurent bien sûr la lutte entre Greenpeace et Areva ou encore les différentes affaires liées aux opérateurs de téléphone… Mais on trouve aussi un épisode bien moins médiatisé, certains préférant, on les comprend, la discrétion.

Il s’agit par exemple du Comité interprofessionnel des vins de Champagne, qui ne tient pas à ce que se sache trop qu’il souhaitait éloigner de sa région de production les sites de stockage de déchets radioactifs gérés par l’Andra (Agence nationale pour les déchets radioactifs).

On trouvera aussi relatés des épisodes liés aux algues vertes, et surtout un chapitre détaillé sur l’arme du droit au niveau international.

C’est donc là un ouvrage original et fort utile, pour qui a conscience de l’importance du droit dans la ‘vie économique, en particulier en cas de conflit.

Informations

Les robes noires dans la guerre économique Thibault du Manoir de Juaye Nouveau Monde éditions 288 pages ISBN : 978-2-134736-601-3 21 €

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Eloge du dernier ouvrage de Maître Thibault du MANOIR de JUAYE

Eloge du dernier ouvrage de Maître Thibault du MANOIR de JUAYE

LES ROBES NOIRES DANS LA GUERRE ÉCONOMIQUES

L’avocat Thibault du Manoir de Juaye livre ici une analyse hors du commun,une véritable enquête au cœur des stratégies judiciaires des entreprises dans un contexte de concurrence économique exacerbée par la mondialisation. Focus sur les avocats mais aussi tous ceux – entreprises, associations de consommateurs, ONG, écologistes, groupes d’intérêt ou de pression – qui prennent part à ces affrontements économiques où tensions et agressivité ne cessent de croître.

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Le juriste, acteur majeur de la performance de l’entreprise

Le juriste, acteur majeur de la performance de l’entreprise

Synthèse de l’intervention de Maître du MANOIR de JUAYE lors de l’atelier ANVIE
LE JURISTE, ACTEUR MAJEUR DE LA PERFORMANCE DE l’ENTREPRISE

27 novembre & 4 decembre 2007
Les stratégies judiciaires en pratique

La question de l’information joue un rôle clé dans les stratégies judiciaires des entreprises, que ce soit avant, pendant ou après le procès ; c’est en effet un enjeu décisif. Avant le procès, l’élément déterminant est de réunir des preuves. Par la suite, la situation de contentieux peut permettre à une entreprise d’accéder à des informations confidentielles sur son adversaire. Enfin, après le procès, les informations diffusées ont des conséquences sur la réputation de l’entreprise. L’exemple de Buffalo Grill permet d’étudier de façon détaillée la stratégie judiciaire d’une entreprise d’un point de vue pratique.

La gestion de l’information dans le cadre d’une action en justice

Avant le procès

Pour être utilisable, une preuve doit avoir été obtenue de façon légale. Or dans certains cas, par exemple s’il s’agit de contrefaçon pour des données figurant sur un site Internet, la preuve peut être difficile à établir. Ainsi, un procès doit être soigneusement préparé, et les entreprises doivent mettre en place des stratégies pré judiciaires pour se protéger.

Pendant le procès

En vertu du principe de la contradiction dans un procès, un juge ne peut pas étudier un document qui n’a pas été porté à la connaissance de toutes les parties. De fait, l’adversaire d’une entreprise se trouve parfois en position d’accéder à des documents confidentiels, comme par exemple son fichier client.

Il y a quelques années, la copie du disque dur de l’ordinateur d’une entreprise pouvait être obtenue assez facilement ; ainsi, même si la décision judiciaire était ensuite favorable à l’entreprise mise en cause, les torts causés par la diffusion d’informations confidentielles étaient irréversibles. Aujourd’hui, de telles décisions ne peuvent être obtenues que suite à des demandes très ciblées.

S’agissant des PME, le coût d’obtention des informations peut être un réel obstacle, la recherche de fichiers informatiques nécessitant la présence d’un huissier et d’un expert informatique, dont les honoraires s’ajoutent aux frais d’avocats.

Après le procès

Souvent, la décision de justice est diffusée sur Internet, ce qui peut avoir des conséquences néfastes pour l’entreprise concernée.

Par ailleurs, il peut être souhaitable que la décision de justice ait une incidence sur l’organisation de l’entreprise : en effet, le contentieux est parfois révélateur d’un malaise plus profond.

Une stratégie judiciaire en pratique : l’exemple de Buffalo Grill

A la fin de l’année 2002, après des perquisitions dans plusieurs entrepôts et restaurants Buffalo Grill, l’entreprise a été accusée d’homicide involontaire et de tromperie sur la marchandise ; le PDG a été assigné à résidence et le directeur des achats incarcéré.

Dans cette situation, l’avocat de la société devait s’adresser à la fois aux magistrats, aux franchisés, aux salariés, aux banques, aux pouvoirs publics et aux consommateurs, toutes ces parties prenantes ayant évidemment des attentes différentes.

A la fin du mois de décembre, la chaîne avait perdu 40 % de ses clients, son action avait perdu de la valeur et son cours en bourse avait finalement été suspendu.

Au départ, les dirigeants de Buffalo Grill n’avaient pas du tout communiqué sur cette crise. Ils ont réagi à partir de la fin du mois de décembre. L’entreprise a d’abord déposé une plainte pour dénonciation calomnieuse à l’encontre des salariés qui les avaient dénoncés. Elle a ensuite porté plainte pour diffamation contre deux anciens salariés. Parallèlement, elle a demandé la publication du dossier d’instruction, afin d’éviter la propagation de rumeurs. Enfin, la société portait >plainte pour atteinte au secret de l’instruction et pour atteinte à la présomption d’innocence à chaque fois qu’une information la mettant en cause paraissait dans la presse.

En définitive, seul le motif de « tromperie sur la marchandise » a été retenu. En somme, même si la communication mise en œuvre par Buffalo Grill n’a pas été optimale – car il n’y avait aucune concertation entre l’agence de communication et l’avocat – la stratégie judiciaire de l’entreprise a abouti à un résultat globalement satisfaisant, notamment grâce à l’utilisation de différentes procédures pour contre-attaquer.

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Le lobbying et le droit

Le lobbying et le droit

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